Rym Snene, Psychologue de l’ONG Terra Psy - Psychologues Sans Frontières est de retour de mission à la frontière Libano-Syrienne
Dans un Liban complètement dévasté par une crise financière et économique sans précédent, près de deux millions de réfugiés oubliés subissent une détresse psychologique majeure.
Les conditions de vie sont très difficiles pour les réfugiés syriens bloqués dans des camps de fortune depuis plus de 10 ans, sans espoir d’un avenir meilleur. Leur quotidien se résume à gérer la pénurie, le manque total de services de base, à commencer par l’école pour les enfants.
La pauvreté, le désœuvrement et l’insécurité provoquent une souffrance psychique individuelle et collective des réfugiés et particulièrement pour les femmes et les enfants qui subissent d’énormes violences de tout genre (morale, verbale, physique et sexuelles) en permanence.
Le contexte de l’exil
Avant de devenir réfugiées, ces personnes et ces familles ont vécu une guerre dévastatrice déclenchée depuis mars 2011 en Syrie. La Syrie était devenue terre d’affrontement, où la répression, les bombardements et les fusillades rendaient leur quotidien terrifiant. Jusqu'à aujourd'hui la Syrie est en guerre, entre les mains ensanglantées des différents partis.
Devenues ensuite réfugiées, on les appelle aussi les déplacés, - ou est-ce les oubliés ? - ces personnes ont vu mourir leurs proches (enfants, époux, parents …) et détruire leurs habitats. Pour sauver leurs vies, elles n’ont eu d’autres choix que de fuir la Syrie individuellement ou en groupe, elles ont parcouru les routes, à pied pour beaucoup et franchi les frontières de manière clandestine dans un climat de terreur et de désarroi.
Arrivées au Liban pour se réfugier, suite à des parcours migratoires forcés, des vécus de deuil et d'événements traumatiques, leur espoir était de pouvoir retrouver une sécurité et reconstruire leurs vies. Les voilà dans un contexte politique critique et une situation économique en crise majeure. Elles se retrouvent alors serrées dans des camps sans possibilité d’en sortir depuis plus de 10 ans. Face à cette réalité extrême, des aides matérielles leur ont été fournies, mais les conditions de vie restent très précaires ; les besoins sont multiples et les nécessités de base manquent.
La vie dans les camps
Les femmes passent leurs journées et leurs nuits dans des tentes, ayant pour rôle de s’occuper de leurs enfants et de les protéger, sans aucune activité extérieure, elles s’isolent et se renferment sur elles-mêmes. Elles subissent de fortes violences quotidiennes et des agressions sexuelles sans possibilité de se défendre ni de se protéger du désarroi de leurs hommes. Ces pères de familles qui deviennent de plus en plus violents et agressifs face au manque de moyens, du sentiment d’impuissance, de l'impossibilité de travailler et de subvenir aux besoins de leurs familles,
Quant aux enfants, la plupart ont un statut administratif qui ne les autorise pas à sortir des camps, ce qui rend impossible leur scolarisation... Ainsi, beaucoup d’entre eux sont nés dans les camps et n’en sont jamais sortis. Ils se retrouvent ainsi sans repères, dans une impossibilité d’intégration sociale et d’apprentissage, souvent dans des situations d’exploitation et d’agression, ce qui altère grandement leur bon développement.
Aucun soin psychologique n’a été apporté à ces personnes et aucun processus de réparation n’a été élaboré. Elles sont livrées à elles-mêmes avec des trajectoires d’exil et des souffrances réactualisées en permanence dans un quotidien violent et incertain.
L’état de santé mentale
Dans le cadre d’une mission exploratoire que nous avons effectuée dans ces camps, nous avons pu mener des entretiens, principalement avec des femmes. Ces femmes témoignent d’un processus douloureux qui, d’un point de vue manifeste, ressemble très fortement au stress post traumatique, souvent associé à de la dépression : tristesse, difficultés de concentration, pensées suicidaires, fatigue, troubles du sommeil, dévalorisation de soi, désespoir, détresse psychologique et physiologique, troubles psychosomatiques, ralentissement psychomoteur…
Les événements traumatiques multiples agissent comme effraction sur l’organisme qui se trouve submergé par une angoisse automatique menaçant ainsi le moi dans son intégrité et ébranlant la qualité de la santé mentale. Le caractère répétitif du trauma et l’environnement dans lequel elles évoluent renforcent les effets pathogènes.
Dans des conditions de carences extrêmes et dans l'impossibilité d’accès aux soins médicaux et psychologiques, les femmes font preuve d’une grande résilience et sont demandeuses d’une aide psychologique, mais aussi d’apprentissage, de travail et d’autonomie.
C’est ainsi que nous proposons d’intervenir dans les camps de réfugiés de la région d’Arsal, afin d’accompagner ces personnes dans la guérison de leurs plaies invisibles, de leurs traumatismes, pour les aider à s'affranchir de leurs conditions et retrouver leur dignité par le soin psychologique.
Face à l’inaction nous souhaitons alerter. Il faut désormais agir et proposer une aide humanitaire de première nécessité, afin de favoriser le mieux-être des femmes, mais aussi des adultes de demain et d’éviter que la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les réfugiés des camps n’impacte les générations suivantes.
Rym Snene, Psychologue, Terra Psy - Psychologues Sans Frontières